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Fraternité du Sault Saint-Louis
Vous le savez, on se sent terriblement démuni lorsqu'il
s'agit d'accompagner un ami - avec qui on partage le quotidien et
la mission depuis plusieurs années - au moment où
il mène un combat contre la maladie. C'est aussi une expérience
humaine profonde et déroutante de vivre le départ
de cet être cher, puis de prendre peu à peu conscience
de son absence définitive. Et c'est enfin un défi
très particulier d'aider les proches de cette personne à
accueillir cette étape et à y trouver du sens.
C'est ce que nous, les membres de la fraternité du Sault
Saint-Louis, avons vécu dans les derniers mois, alors que
notre confrère Réal a finalement perdu sa lutte contre
le cancer, le 8 mars dernier. Nous aimerions prendre le temps de
vous le partager.
Un chemin d'abandon
C'est à l'automne 1999, en pleine force, que Réal
apprend qu'il est aux prises avec cette maladie. Une intervention
chirurgicale difficile, suivie de traitements intensifs en radiothérapie
et en chimiothérapie, lui permettent toutefois de retrouver
une forme physique et mentale encourageante au début de l'été.
À la fin du mois de juillet, il subit une nouvelle opération,
destinée normalement à lui rendre toute son autonomie.
Mais ses espoirs ne sont jamais comblés. L'automne 2000 est
particulièrement difficile à vivre pour lui: très
peu de sommeil, beaucoup de fatigue, des signes d'amélioration
qui tardent toujours à venir, quelques bonnes nouvelles qui
alternent avec plusieurs mauvaises.
"Où me mènera la route sur laquelle je suis
engagé? Dieu seul le sait. Mais une chose est claire dans
ma tête et dans mon coeur: je veux la parcourir avec mes forces
et mes limites, comme Réal Brodeur."
Pour Réal, 56 ans, passer de la pleine activité à
la presque dépendance en si peu de temps constitue une dure
et humiliante épreuve. Très impliqué jusque
là dans les dossiers de l'économat de la Province,
passionné par le Projet Jean de la Mennais, spécialement
son volet "école et pastorale", il demeure aussi
l'âme des Amis de Jean de la Mennais, l'imposant regroupement
d'anciens-ennes du Collège où il a oeuvré pendant
près de 25 ans. Lui-même a mis sur pied cet organisme
qui soutient les implications pastorales et communautaires des élèves
actuels. D'octobre à décembre, les deux derniers projets
que Réal conduit de main de maître - à partir
de sa chambre du Sault Saint-Louis - seront d'ailleurs la constitution
finale du document "Critères pour une école mennaisienne",
dans le cadre du plan d'action JDLM, et le lancement d'une levée
de fonds extraordinaire destinée à assurer la pérennité
de la Fondation des Amis, à l'occasion du prochain - et dixième
- tournoi de golf bénéfice.
À la fin du mois de décembre, tout s'accélère.
Coup sur coup, et sans fard, Réal se voit confirmer que son
cancer a repris de façon virulente, puis qu'il s'est probablement
répandu au foie et aux poumons. Vivre avec cette éventualité
devient très pénible, d'autant plus que son état
physique décline à une vitesse qui déjoue tous
les pronostics.
À la mi-janvier 2001, il choisit de déménager
à l'infirmerie. Un choix qui le rassure, même s'il
sait déjà que ce sera fort probablement sans retour.
"Le fait de parler de ma situation à des personnes
compétentes, d'être entouré de personnes qui
s'occupent beaucoup de nos frères malades, donc de moi, le
fait de rencontrer des frères qui me disent leur amour à
leur façon, qui m'assurent de leur prière et de leur
affection, et le fait de prier beaucoup, tout cela fait en sorte
qu'une certaine paix intérieure, une sérénité
s'installent. Je ne me fais pas d'illusions sur leur profondeur.
Il pourra arriver que le tout explose à une vitesse vertigineuse
et revienne à la case de départ."
Homme de relations et de liens chaleureusement entretenus, c'est
pourtant dans l'intimité que Réal va choisir de vivre
ses dernières semaines. Il veut qu'on garde de lui l'image
de l'homme fort plutôt que celle de la maladie qui le terrasse
et qui bouleverse sa vie. Un groupe de confrères, d'amis
et de membres de sa famille l'accompagnent dans ses besoins physiques,
affectifs et spirituels, tout spécialement à partir
du 20 février où il est transporté à
l'hôpital Charles-Le Moyne de Greenfield Park. Une présence
attentive, compréhensive et affectueuse qui ne se démentira
pas jusqu'à la toute fin, de jour et de nuit, alors que les
signes d'affaiblissement se multiplient et que la douleur laisse
bien peu de répit à Réal.
Et c'est en présence de son frère Gérard et
de sa soeur Rollande que Réal part dans la paix, au matin
du jeudi 8 mars 2001, plus rapidement que tout ce qu'on avait pu
prévoir, bien trop tôt pour tous ceux et celles qui
l'aiment.
Donner sens au passage
C'est à ces personnes: les membres de sa famille et de la
communauté, ses amis-es et collègues, mais tout particulièrement
ces générations de jeunes - maintenant des adultes
de 25 à 40 ans - pour qui Réal a été
et demeure une personne signifiante et extrêmement importante,
c'est à eux que pensent les membres de la fraternité,
son frère Gérard et les responsables de la Maison
mère quand il s'agit d'organiser les journées d'exposition
et les funérailles. Un groupe d'anciens et de professeurs
du Collège assure une parfaite organisation logistique (stationnement,
accueil, circulation) qui permettra à des centaines de personnes
de venir se recueillir au Collège et de partager des moments
précieux de fraternité. Réal lui-même
leur fait d'ailleurs un cadeau peu banal: la présentation
continue sur écran des quelques dizaines de photographies
qu'il avait conservées, seules rescapées d'un grand
ménage parmi ses souvenirs quelques mois plus tôt.
Les funérailles de Réal, le samedi 17 mars, resteront
sans doute marquées dans le coeur de plusieurs comme un moment
de grâce très particulier. Près de 700 personnes,
dont une majorité de jeunes adultes, se retrouvent dans la
belle et grande église de La Nativité de La Prairie.
Le rythme de la célébration, les gestes, les chants
et les textes (dont certains avaient été demandés
par Réal lui-même), les interventions, les symboles,
les silences, tout veut se faire "Parole" afin de donner
sens à cet événement questionnant. On perçoit
dans la foule beaucoup d'émotion et de tristesse, c'est certain,
mais surtout une rare intensité de présence et d'écoute,
de fraternité et de sérénité. L'ouverture
et la disponibilité des coeurs sont palpables. Pas de témoignages
en tant que tel, comme le souhaitait le défunt, mais un moment
fort de reconnaissance et d'appropriation de l'héritage laissé
par Réal à chacun-e.
C'était tout un défi pour notre confrère Claude
Labrosse, compagnon de Réal depuis plus de vingt ans, de
présider cette célébration d'au revoir. Il
a eu les forces nécessaires, et l'appuyer tous ensemble dans
cet événement a constitué pour nous un moment
de fraternité très particulier.
Aimer, perdre et grandir
"La mort, ce n'est pas l'obscurité: c'est la lampe
qui s'éteint parce que le jour se lève." Réal
occupait une grande place dans nos vies, et dans celle de plusieurs
personnes à qui il avait permis de se sentir uniques et importantes.
Il jouait aussi un rôle crucial dans notre Province, sur plusieurs
plans. Il nous faut maintenant trouver dans notre affection pour
lui et dans son départ une inspiration pour croître.
"Ce n'est qu'un au revoir", comme lui-même le disait
à ses élèves du deuxième cycle, au moment
où il quittait le Collège Jean De La Mennais en 1990:
"Il est pratiquement impossible de travailler avec quelqu'un
pendant plusieurs années et de lui donner le meilleur de
soi-même sans que la séparation ne soit teintée
d'un brin de nostalgie. Mais les ruptures ne sont-elles pas là
pour nous aider à grandir?
Voici ce que je désire pour toi et que je relie au symbole
de l'arbre: que tes racines soient profondes, que ta terre soit
riche, que tes fruits nourrissent beaucoup de personnes autour de
toi. Ne te contente pas d'être un bel arbre qui produit de
beaux fruits, mais deviens véritablement un arbre bon qui
produit de bons fruits, là où tu es enraciné.
Ce que je souhaite, c'est que tu sois vraiment heureux, heureuse.
Ne lâche pas champion, championne: tu as énormément
de prix à mes yeux. Je t'aime beaucoup.
De quelqu'un qui quitte rempli d'heureux souvenirs et millionnaire
des liens créés.
Réal."
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